Adieu au colonel Pierre Aigueperse

Mon cher Pierre
L'annonce de ta mort m'a fait beaucoup de peine car, de vieux camarades que nous étions depuis 1945, nous étions devenus des frères.
Ta vie a été à la fois exemplaire à tous égards et simple, tant était grande ta modestie.

Reçu à St Cyr au concours 1942 et ayant rejoint l'Ecole en septembre, tu as connu, avec tes camarades, une intense humiliation quand nos vainqueurs de 1940 nous ont imposé en novembre (lors du débarquement allié en Afrique du nord), la dissolution de notre armée d'armistice.

Ta rencontre avec la femme de ta vie et votre mariage en juin 1944, désiré mais ô combien aventureux à une telle époque, t'a alors permis d'atténuer l'attente de ta revanche, mais Nicole, ta jeune épouse, allait connaitre, avec votre séparation, la première de ses rudes épreuves.

En septembre 1944, au passage de la 1ère Armée  en Bourgogne, tu as en effet choisi de t'engager comme simple brigadier-chef dans un régiment blindé au lieu de rejoindre l'Ecole de Cherchell, comme tu aurais pu le faire pour récupérer au plus vite tes galons d'officier.

Tu as participé bravement à la terrible campagne d'Alsace et celle d'Allemagne et ainsi contribué à la Victoire. Ce faisant, tu avais déjà bien mérité de la Patrie

Nous nous sommes découverts à Coëtquidan en juillet 1945, puis nous sommes retrouvés en Application à Saumur en 1956. D'abord affecté comme lieutenant en Allemagne, tu es parti très vite en Indochine. A la tête de soldats autochtones dans un poste perdu du haut Laos à la frontière de Chine ,ravitaillé uniquement par air, ton séjour a été particulièrement éprouvant. Tout jeune, tu y as connu la solitude du chef face à l'inconnu et tu as fait à nouveau la preuve de tes grandes qualités.

Puis ce fut un nouveau passage en Allemagne et, très vite encore, l'Algérie comme capitaine commandant un escadron de chars légers où tu as de nouveau donné toute ta mesure dans des conditions nouvelles mais difficiles.

Après l'école d'état-major à Paris, tu as été choisi, excellent germanisant, pour suivre les cours de la Fuhrungs Akademie, l'école de guerre allemande, de Hambourg. Tu y as excellemment représenté notre armée.

En 1965, nos chemins se sont heureusement rejoints, affectés tous les deux au 8 ième Hussards à Altkirch. Là, nous avons vécu une collaboration merveilleuse et une amitié du même ordre.
Nos épouses l'ont partagée car elles avaient la même conception du mariage, de la famille et de la vie de femme d'officier. Ma Monique a alors bénéficié de l'exemple de ta Nicole qui avait déjà mené 3 fois, seule, une existence de dévouement pour les siens et pour les autres.

En ce qui me concerne, j'aimais la finesse de ton intelligence, la force de ton caractère, ta droiture et ta liberté de parole, à mon égard notamment, ta sagesse aussi et tes conseils avisés. Ton sens de l'humain et ta gentillesse - n'excluant pas la fermeté - te faisaient apprécier de tous au régiment.

Ceux qui te connaissaient le mieux goûtaient en plus ta grande culture et ton merveilleux sens de l'humour. Nous avons constitué,  deux ans, durant un excellent tandem.

J'ai regretté ton départ mais un nouveau poste de responsabilité t'attendait comme officier de liaison des FFA auprès de la Bundeswehr.

Vint plus tard le couronnement de ta vie d'officier car tu avais une si haute vision de la mission d'un chef de corps que tu m'avais confié que tu quitterais l'armée après avoir commandé un régiment .

Ce fut le cas à la tête du 5 ième Hussards à Provins où ta réussite fut complète comme le reste de ta carrière. Tu étais de ceux qui ont réussi à vivre à fond leur idéal.

En retraite, tu as continué à servir . Tu avais en effet conservé toute ta riche personnalité, dominée par la simplicité et le sens du devoir.

Nous le constations avec admiration chaque année, en route vers notre Savoie, en venant vous voir à Aloxe Corton où vous aviez fait très tôt le foyer de votre belle famille.
***

Tes dernières années de vie ont été difficiles mais tu y as fait face avec le courage et l'humilité qui te caractérisaient, soutenu et tiré vers le Haut par ta merveilleuse Nicole dont nous mesurons aujourd'hui affectueusement la déchirure.

***

Colonel Aigueperse, au nom de l'armée et de la France que vous avez bien servies, je vous dis merci.

Pierre, mon ancien, mon camarade, mon frère, père de famille nombreuse, homme de cœur, homme de bien, homme de foi,  je supplie Dieu de t'accueillir au Paradis.
A Dieu Pierre !

***

Fiche mise à jour le : 04.10.16